Présentation :

Depuis le début du XXe siècle, la peinture s’est nourrie d’une nouvelle forme d’expression artistique : le cinéma.

Très tôt, des artistes tels que Georges Méliès, David W. Griffith, Carl Theodor Dreyer ont utilisé l’invention des frères Lumière (1895) en réalisant des chefs d’oeuvres, ce qui a probablement permis à Ricciotto Canudo, un des premiers critiques de cinéma et ami d’Apollinaire, de proposer en 1919 l’expression de “septième art” pour désigner le cinéma.

Si l’on peut dire que la peinture a influencé le cinéma dans le sens où cela fut souvent l’occasion pour des cinéastes de mettre en avant des références culturelles personnelles, on peut dire que le cinéma n’a cessé d’influencer d’illustres peintres et artistes du XXe siècle comme Marcel Duchamp, Fernand Léger, Max Ernst ou Salvador Dali dans la mesure où ils y ont vu un nouveau mode d’expression artistique expérimental. On peut noter également que le cinéma et ses stars ont profondément influencé des artistes majeurs tels que René Magritte, Edward Hopper ou encore Andy Warhol…

Loin de nous, l’idée de théoriser sur les apports du cinéma à la peinture – tentative très périlleuse et à notre avis inutile –, aussi nous contenterons nous de citer quelques exemples.

Le Cinéma, comme tout ce qui concerne la société, a logiquement influencé les arts plastiques et en particulier la peinture. Marcel Duchamp reconnaissait les influences cinématographiques avec son Nu descendant un escalier (1912) influencé par les Etudes Chronophotographiques de la Figure Humaine en Mouvement (1886) de Etienne-Jules Marey (1830-1904) et le Human figure in Motion d’Eadweard-James Muybridge (1887). Fernand Léger réalise en 1924 avec le chef opérateur américain Dudley Murphy, Le Ballet Mécanique un film expérimental de 15 minutes, véritable hymne au modernisme, qui explore des formes d’écritures cinématographiques très originales. Salvador Dali collabore étroitement aux deux films les plus emblématiques du cinéma surréaliste avec Luis Buñuel, Le Chien Andalou (1928) et l’Age d’Or (1930) ainsi qu’avec Alfred Hitchcock en 1945 en réalisant la fameuse scène du rêve dans La Maison du Docteur Edwards / Spellbound. Hans Richter fait appel à Max Ernst, Man Ray, Marcel Duchamp et Alexander Calder pour réaliser un film expérimental culte Dreams That Money Can Buy (1945-1947).

Tous les aspects liés au cinéma ont d’une manière ou d’une autre été représentés dans la peinture. Auguste Chabaud avec Magic City, Paris la Nuit (1908) mêle les enseignes de cinéma aux néons et publicités de la ville, John Sloan avec Movies : Five Cent (1907) et Reginald Marsh avec Twenty Cent Movies (1936) montrent l’ambiance animée de nickelodeons à New York. On retrouve l’ambiance des salles de cinéma elles-mêmes chez Edward Hopper, ce passionné de cinéma, avec notamment New York Movie (1939) ainsi que l’atmosphère des films noirs avec le célèbre Nighthawks (1942).

Le pouvoir de transfiguration du cinéma a notamment fourni des influences notoires chez les surréalistes. René Magritte et Salvador Dali utiliseront les fausses perspectives vues chez Louis Feuillade (La Maison des Lions, 1912) ainsi que les ruptures d’échelle que l’on retrouve chez Georges Méliès (L’Homme à la tête de caoutchouc, 1902). Les références au cinéma sont constantes chez Magritte qui se souvient d’une salle de cinéma de Charleroi dans laquelle il assiste en 1913 à une projection du Fantômas de Louis Feuillade lorsqu’il crée Cinéma Bleu (1925). Magritte reprend une scène de Fantômas en 1927 lorsqu’il représente L’Assassin Menacé. Fantômas réapparaît chez Magritte en 1928 avec Le Barbare, et en 1943 avec Le Retour de Flamme. Son tableau de 1929 La Voleuse rend hommage à Louis Feuillade (Les Vampires, 1915) et les titres de ses tableaux de 1937 In Memoriam Mack Sennett et Hommage à Eric Von Stroheim ne laissent aucun doute concernant ses références.

Bien évidemment, on retrouve ces phénomènes sociaux que sont les stars de cinéma dans de très nombreuses oeuvres d’art. Salvador Dali s’empare en 1934 de la plantureuse Mae West avec Le Visage de Mae West (utilisable comme appartement surréaliste). Joseph Cornell utilise pour son Penny Arcade, Portrait of Lauren Bacall (1946) une photo de la star tirée de To Have and Have Not / Le Port de l’Angoisse le film d’Howard Hawks (1945). Le maître du Pop Art Andy Warhol (1928-1987) a marqué l’histoire de l’art avec ses Marilyn (1962, 1964 , 1967), Liz Taylor (Ten Lizes 1963), Grace Kelly (1984), Le Baiser (Bela Lugosi, 1963), Natalie Wood (1967), Marlon Brando (1966), James Cagney (1962), Ingrid Bergman (1983), Liza Minelli (1977)… sans oublier son Popeye (1961). Marilyn Monroe, mériterait à elle seule un ouvrage représentant les différentes créations artistique qu’elle a inspirées : Ray Johnson avec Hand Marilyn Monroe (1958), Andy Warhol (sans oublier ses Marilyn Monroe’s Lips et Marilyn, I Love Your Kiss Forever Forever,1962), James Rosenquist (Marilyn Monroe 1962), Tom Wesselmann qui compose une oeuvre abstaite à partir d’éléments figuratifs (Marilyn I, 1962), Mimmo Rotella (Marilyn 1963), Niki de Saint Phalle (Marilyn Monroe 1963), Richard Hamilton (My Marilyn, 1965) etc…

Nous avons demandé aux artistes qui participent à cette exposition de nous faire part des influences du cinéma dans leur vie et dans leur travail. Ainsi pour Jean Le Gac, l’influence du cinéma aujourd’hui est plus ou moins incontournable chez les artistes contemporains : “Pour ma part, je situe cette influence de manière plus rigoureuse en 1981 en faisant référence aux livres de mon enfance, les ciné-romans, ces fascicules édités du temps du cinéma muet dans lesquels on racontait les films en les illustrant avec les photos tirées de ces films. Ces photos sépia étaient pour moi de véritables tableaux vivants. Le cinéma dans mon travail de peintre est venu par ce biais là ; je les transposais en couleur et cela m’a amené à réaliser la série Story Art”. A ce jour, Le Gac a réalisé 27 oeuvres de cette série, chaque oeuvre incluant
un projecteur de cinéma qu’on utilisait pour les projections en famille, parmi lesquelles Story Art (Avec Menace), 1986, Story Art (Avec À Mort le Peintre), 1986, Story Art (Avec Encerclement), 1986 ou encore Story Art (Avec Odalisque), 1997. “C’est l’idée d’un cinéma amateur auquel je rends hommage” poursuit Le Gac. “Enfant déjà, je voulais faire des films sans savoir comment on faisait. Je me mettais sous une table, je mettais un drap et j’essayais de projeter une image avec un calque et une lampe électrique. Même si le résultat laissait à désirer, je voulais matérialiser le cinéma”. Par la suite Le Gac réalisera en 1999 sa série Fifty-Fictif, composée de photos, en hommage à Irma Vep dans Les Vampires de Louis Feuillade (1915) et en 2001 et 2002 une autre série intitulée Les Ecrans. “Je suis un peintre figuratif et ce qui me tente c’est ce qui est à l’opposé : l’abstraction, le monochrome. Pour confronter les deux, j’ai ainsi réalisé la série des Ecrans. Ces diptyques comprennent des pastels ainsi que ces écrans de cotonnade ourlés à la main que l’on trouvait dans les coffrets de marque Pathé-Baby dans lesquels il y avait un projecteur de cinéma, un mode d’emploi, du petit matériel d’entretien et deux lampes électriques de rechange”.

Jacques Monory nous plonge dans l’univers des films noirs avec ses séries Meurtres (1968), Nuit (2002) ou Couleur (2002) dont un tableau reprend une partie de l’affiche du film culte de Joseph H. Lewis Gun Crazy (1949) et aussi Voiture de Rêve (2007) sans oublier en 2006 le tableau Spéciale Greta Garbo. “Beaucoup de peintres se sont intéressés au cinéma, moi j’ai été envahi par le climat de certains films. Je ne me suis pas servi de la diffraction des couleurs ou des formes comme Fernand Léger par exemple, je n’ai rien transformé ; seulement transposé un climat. J’ai volé un vêtement qui me convenait pour être moi-même” dit Jacques Monory qui a fréquenté très tôt avec sa mère les salles de cinéma du boulevard Rochechouart. “A cette époque, j’allais voir des westerns, puis un peu plus tard, des films américains de série B. C’est souvent dans ces films que je retrouve mes passions et mes intérêts” poursuit
l’artiste dont l’enfance s’est passée “à travers les films plutôt qu’à travers l’école”. Jacques Monory est influencé par les films des années 1935 à 1950, “par la suite, la lumière n’est plus ce qu’elle était, les prises de vues sont différentes.
Il y avait un soin particulier pour filmer ce que l’on voulait exprimer et ce soin vient en grande partie des éclairages : quand les scènes étaient tendres, les éclairages devenaient brillants et quand elles étaient violentes, c’était sombre, il y avait des ombres. Dans le cinéma actuel, les modifications des sentiments sont plutôt évoquées par la vitesse, par les mouvements de caméra. C’est presque un concours du plus grand nombre de voitures cassées en trois secondes. Ma peinture c’est mon cinéma permanent”.
Pour Bernard Rancillac, “le cinéma est une doublure de la vie qui me permet de vivre une autre vie. Sans le cinéma, la vie me paraîtrait très prosaïque. J’y cours le plus souvent possible. J’ai fréquenté la Cinémathèque de la rue d’Ulm dès les années 50 et cela m’est resté jusqu’à aujourd’hui. J’ai découvert les films de la Nouvelle Vague et de Godard en particulier. Je trouve qu’il y a un parallèle entre les films de la Nouvelle Vague et la Figuration Narrative dans la mesure où il y avait ces mêmes envies, cette même volonté de tout remettre en cause”. Bernard Rancillac a réalisé au milieu des années 60 toute une série influencée par les couvertures de Cinémonde. Il a également créé une série d’une trentaine de collages en 1996 pour fêter le centenaire du cinéma comme Not to be d’après To be or not to be, (le remake du fameux film de Lubitsch) d’Alan Johnson (1983), La Cinquième Victime / While the City Sleeps de Fritz Lang (1956), Fort Bravo / Escape from Fort Bravo de John Sturges (1953) ou encore Amère Victoire / Bitter Victory d’après le film de Nicholas Ray (1958), oeuvre qu’il a offert à son cinéma de quartier, le Marcel Pagnol de Malakoff. “Ceci étant dit,
l’influence du cinéma dans mon travail est diffuse” poursuit Rancillac pour qui le “jazz, la littérature et la politique sont aussi importants dans mon travail”. A l’occasion de cette exposition, Rancillac a réalisé trois oeuvres d’excellente facture inspirées par trois films noirs : In a Lonely Place / Le Violent, 1950 d’après le film de Nicholas Ray avec Humphrey Bogart et Gloria Grahame, Pickup on South Street / Le Port de la Drogue, 1953 d’après le film de Samuel Fuller avec Richard Widmark et Jean Peters, ainsi que This Gun For Hire / Tueurs à Gages, 1942 d’après le film de Frank Tuttle avec Alan Ladd et Veronica Lake.
Henri Cueco a intégré la “séquence” cinématographique dans son oeuvre dès les années 60 en réalisant de nombreuses oeuvres séquentielles et notamment ses séries dites “Cinémas” avec des baigneuses qui deviendront en 1966 la toile exposée au Salon de la jeune peinture intitulée “De la Baignoire à la Salle de Bains”. Récemment, et toujours sensible à la forme, Cueco a réalisé une nouvelle série de cinémas qui est principalement consacrée au feu et à la fumée. Les variations temporelles de “Petits Feux” (2007) par exemple nous donnent à voir des oeuvres formées de”séquences cinématographiques”. Dans ces “séquences”, nous dit Cueco, “le rapport au cinéma est lié à la succession d’images”.
Passionné de cinéma, Jean-Michel Alberola nous confie : “Mes références au cinéma sont multiples mais je dois avouer que les esthétiques cinématographiques en général, et en particulier la splendeur hollywoodienne, m’ont beaucoup marquées”. Il est vrai que dans son oeuvre réalisée pour le Centre Georges Pompidou en 2005 “Vous avez le Bonjour de Marcel, 2002” (2007), on retrouve un canyon qui semble être situé dans un paysage désertique de l’Arizona ou du Nevada ainsi que des bottes de cow-boys évoquant le western. “Des films comme La Chevauchée Fantastique / Stagecoach (1939), La Poursuite Infernale / My Darling Clementine (1946) ou encore La Prisonnière du Désert / The Searchers (1956) de John Ford m’impressionnent particulièrement. Mais, plus profondément cette peinture murale est un rappel de Marcel Duchamp, dans la mesure où Duchamp se pose le problème du rapport de l’art à l’économique”.
L’artiste vidéaste Pierrick Sorin dont le travail puise ses racines dans le cinéma avec des références à Buster Keaton, Georges Méliès et Jacques Tati, nous donne à voir dans un de ses théâtres optiques intitulé “Sorino le Magicien” (1999) un prestidigitateur qui réalise des tours de magie un peu minables avec la complicité d’une assistante. “J’ai réalisé cette pièce par amusement” nous dit Sorin, “mais on peut y voir une volonté un peu ironique de présenter l’artiste comme simple amuseur public. La proximité avec Georges Méliès est ici particulièrement sensible”. La fascination de Sorin pour Méliès est telle qu’il prépare actuellement une grande exposition à Toulouse intitulée “Sorin-Méliès”. “J’ai découvert Méliès tardivement”, nous dit Sorin. “Je devais avoir 28 ans. J’avais déjà réalisé un certain nombre de petits films super 8 dans lesquels j’usai parfois de quelques trucages bien connus (effets d’apparition / disparition d’objets et de personnages, effet d’hyper-accélération avec la technique de la pixellisation…). J’ai été épaté de voir comment, au tout début du XXe siècle, ce prestidigitateur-cinéaste, réussissait à réaliser des effets spéciaux qui n’avaient guère à envier aux techniques modernes du cinéma. Pour autant, je n’ai pas été vraiment “influencé” par Méliès. C’est d’abord la bande dessinée, le burlesque américain ou Jacques Tati qui m’ont mis sur les rails de la création filmique. Et puis, j’ai toujours eu un fond plus sombre et plus intellectuel que Méliès dont le contenu des oeuvres, aussi créatif soit-il, demeure à mon goût un peu trop limité à une imagerie et à une esthétique populaire. Je reconnais toutefois que la simple magie visuelle, dans laquelle je me vautre volontiers en réalisant des théâtres optiques, me fascine. C’est un point commun avec l’auteur du “Voyage sur la Lune”. Ce n’est pas le seul. Comme lui, je me suis construit mon propre studio et je tiens tous les rôles : scénariste, caméraman, décorateur, acteur, monteur…. Comme lui j’ai recours à des mises en scène simples, proches du numéro de music-hall filmé. Lors de la visite d’une exposition consacrée à ce pionnier du cinéma, en 2002, j’ai même été stupéfait de constater qu’avec cent ans d’intervalle, j’avais moi-même réalisé un dessin préparatoire qui semblait être une copie d’un croquis du grand Georges : même idée, même composition. Le rapprochement Sorin-Méliès est un peu restrictif mais tout à fait pertinent”. Dans “Le Visualiseur Personnel d’Images Mentales” (2004), un autre théâtre optique, Sorin présente une invention futuriste qui permet de visualiser les rêves. “Le cauchemar du personnage, qui apparaît sur grand écran, dans la pièce où se déroule l’expérience, est finalement un rêve de cinéma” nous précise Pierrick Sorin.Le film vidéo “En route vers Chalon” (2001) est “un clin d’oeil ironique vers le cinéma. Deux protagonistes dialoguent à l’arrière d’un véhicule, sur un ton très Nouvelle Vague, tandis que le paysage défilant derrière la vitre, s’affirme comme effet de cinéma. Le discours d’un personnage en particulier fait référence au cinéma expérimental. Le film est aussi un écho à un autofilmage Super 8 inachevé de 1988, dans lequel je m’interrogeais sur la notion d’écriture cinématographique en traçant des formes de lettres, dans l’espace, avec une caméra”.
Pour le photographe Elie Stern, “le cinéma est quelque chose de permanent dans ma vie. Sans le cinéma, l’ennui serait terrible. Quel bonheur de pouvoir vivre certains moments de son existence en pensant à des scènes de films !”. Ses photos de New York par exemple, en noir et blanc ou en couleur, parfois à la limite de l’abstraction font référence à “Scarface (Howard Hawks, 1932), Kiss of Death (Henry Hathaway, 1947), Asphalt Jungle (John Huston, 1950), ou Panic in the Streets (Elia Kazan, 1950)”. Elie Stern n’hésite pas à citer les chefs opérateurs prestigieux “qui ont influencé mon travail comme Sid Hickox (The Big Sleep et Dark Passage), Norbert Brodine (Kiss of Death), Lucien Ballard (The Killing), Elwood Bredell (The Killers) Arthur Edeson (The Maltese Falcon, Casablanca) ou encore Harold Rosson (Asphalt Jungle).”

Le designer Christophe Pillet qui réinterprète pour l’occasion un siège de metteur en scène en fibre de carbone, “version techno-simplistique” a toujours été marqué “par les formes avec un grand F”. C’est ainsi qu’il n’hésite pas à citer “ces icônes, ces pin-up, ces bombes atomiques des années 60 aux années 80, comme Jane Fonda dans Barbarella (1968), Raquel Welch dans One Million Years B.C (1966), Ursula Andress dans James Bond contre Docteur No (1963), Monica Vitti dans l’Aventurra d’Antonioni (1960) ou encore Sean Young dans Blade Runner (1982)”.
L’imaginaire de Peter Klasen se nourrit depuis l’adolescence “de l’impact du récit cinématographique, de l’éblouissement du jeu des acteurs et actrices, et d’émotions inoubliables des destins inventés par la magie du cinéma. A 17 ans, je fais partie du Ciné-club de ma ville natale de Lübeck où sont projetés les films des plus grands cinéastes de l’histoire du cinéma mondial” nous confie Klasen. “Le souvenir de la projection de Metropolis de Fritz Lang, peut-être le film le plus important de l’histoire du cinéma allemand, interdit sous le Troisième Reich, a laissé des traces indélébiles dans ma mémoire de jeune homme. L’inventivité photographique, le génie visionnaire et prémonitoire de cette oeuvre monumentale et inquiétante par certains aspects, à la limite de la monstruosité, m’ont marqué à jamais et firent naître en moi une décision déterminante pour ma future démarche d’artiste plasticien : introduire comme élément constitutif, la spécificité et la force de la photographie comme source d’inspiration de ma démarche picturale. Quelques années plus tard, en 1959 à Paris, commence pendant de longs mois le pèlerinage nocturne de mon atelier de la rue Bonaparte vers la Cinémathèque de la rue d’Ulm, créée par le génial Henri Langlois, aux trois séances pour 1 franc chacune, à la découverte des films de la Nouvelle Vague”. Une des oeuvres de Klasen, Nausée, 1961 comporte d’ailleurs la photo transposée d’Anna Karina, l’égérie de Godard. Klasen garde également de cette période, “l’intense souvenir de la rencontre avec le fulgurant John Cassavetes, marginalisé à Hollywood, qui présenta ses premiers films, parmi lesquels Shadows (1959), chef d’oeuvre d’humanisme traitant des problèmes raciaux de l’Amérique des années 50”. Fasciné par le cinéma, Klasen poursuit : “l’attirance, la puissance du récit visuel cinématographique, son pouvoir incroyablement efficace comme révélateur de nos pulsions les plus intimes, de nos inavouables désirs, de nos inatteignables rêves, de nos plus profonds abîmes, exerce sur moi l’effet le plus doux, le plus redoutable de mes dépendances. Les images vues et revues de Vivien Leigh et Brando dans A Streetcar Named Desire, Grace Kelly et Gary Cooper dans High Noon, Eva Marie Saint et Cary Grant dans North by Northwest, et enfin Ingrid Bergman et Bogart dans Casablanca, la plus belle histoire d’amour du cinéma, vivent à jamais en moi”.
Fan du cinémascope, Philippe Favier nous confie : “Au début des années 80, je collais sur les murs de minuscules personnages découpés, beaucoup de ces collages étaient directement inspirés du cinéma : A.T.E. (The Imp), reprend la scène d’attaque du train dans Lawrence d’Arabie, Le Salon de Musique, collage minuscule de 7 cm, est “une colorisation” librement adaptée de Satyajit Ray. Quant à l’Assassinat de Lucette, une des rares sculptures que j’ai pu commettre, Hitchcock n’est pas loin. Les films de guerre et les grandes épopées cinémascopes m’influençaient beaucoup mais les tableaux qui me séduisaient à l’époque étaient eux aussi à leur manière très cinématographiques, que ce soit La Bataille d’Alexandre d’Altdorfer ou Le Ruisseau de Léon Frédéric. Il me semble toutefois avoir plus appris sur la perspective avec David Lean qu’avec Brunelleschi. Mes inspirations, depuis, ont quitté le champ du spectaculaire. Sans être cinéphile, j’aime le cinéma. Kaurismäki m’impressionne. Si j’avais continué la photographie, je crois qu’il m’aurait totalement découragé : il y a une “expo-photo” par minute dans ses films”.
Nous profitons de l’occasion qui nous est donnée ici pour remercier tous les artistes participant à cette exposition et la confiance qu’ils nous ont témoignée.

Patrick Amsellem